Article tiré de "LeGuide" n° 01.2025
Un thème qui nous conduit à la fois à visiter le fondement de notre mission, à reconnaître le rôle prépondérant de la Parole de Dieu, et à mettre en avant la nécessité de ne pas seulement lire ou écouter cette Parole, mais de la vivre ! C’est cette Parole incarnée dans le concret de notre existence qui nous permet de vivre une véritable rencontre avec le Dieu vivant.
Une Parole
Au commencement, une parole. La parole du Dieu Créateur, celle d’un Dieu qui crée sur parole : « Dieu dit… et cela se passa ainsi[1]. » La chose nous paraît sans doute évidente… mais comme toute évidence, elle est bonne à rappeler.
Un Dieu qui parle
Notre foi repose sur un Dieu qui parle, autrement dit un Dieu vivant qui désire vivre une relation, un dialogue avec les êtres humains qu’il a créés. Dieu nous a créés en son image, Il nous a donné le souffle de vie, pour que nous puissions nous tenir devant lui, non pas d’égal à égal, mais comme des partenaires d’alliance. Et c’est dans ce cadre que Dieu parle et dialogue avec ses alliés.
Dieu parle. Et cette caractéristique est une marque essentielle du Dieu révélé dans la Bible. L’Ancien Testament oppose d’ailleurs régulièrement le seul Dieu vivant aux faux dieux, aux idoles. Le Psaume 115 le dit avec autant de vigueur que d’ironie[2].
Et Dieu ne s’est pas contenté de parler pour créer le monde: il a parlé à l’être humain pour le guider dans le jardin d’Éden, lui permettre de jouir largement des fruits de tous les arbres du jardin, mais aussi pour le mettre en garde de ne pas consommer le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal[3]. Et même après que l’être humain a préféré écouter la voix du serpent, Dieu a continué de lui parler, recherchant la relation : « Où es-tu[4] ? » Et bien longtemps après, par l’intermédiaire de Moïse, Dieu a parlé à son peuple en lui adressant les fameuses « dix paroles », des paroles de bénédiction : « L'Éternel nous a ordonné de mettre toutes ces prescriptions en pratique et de craindre l'Éternel, notre Dieu, ‘afin que nous soyons toujours heureux et qu'il nous conserve la vie, comme il le fait aujourd'hui’[5]. » Et bien que, très souvent, les Israélites se soient trompés de bonheur en fermant leurs oreilles aux paroles de Dieu, ce dernier n’a cessé de leur envoyer ses prophètes, porte-paroles souvent engagés dans un dialogue impossible avec les membres du peuple. Dieu a-t-il alors finalement cessé de leur parler ? Un temps oui, mais c’était pour leur parler ensuite d’une autre manière…
Un Dieu Parole
« Après avoir autrefois, à de nombreuses reprises et de bien des manières, parlé à nos ancêtres par les prophètes, Dieu, dans ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils[6]. »
En parlant par le Fils, Dieu n’a pas seulement recours à un autre moyen ou à une autre modalité de parole, il parle par celui qui est la Parole[7].
Le Fils n’est pas seulement porteur de la parole de Dieu, il est lui-même la Parole incarnée. Aussi tant les mots qu’il adresse que ceux qu’il ne prononce pas – notamment face à certains interlocuteurs dont il connaît les mauvaises intentions – sont-ils éloquents et dignes d’être considérés. Nous l’expérimentons tous, il y a parfois des silences qui en disent long… C’était aussi le cas pour Jésus-Christ. Sa vie, son ministère, ses discours, ses interactions, ses questions, ses silences, etc., sont Parole de Dieu.
Mais savoir qu’il existe un Dieu qui parle, et même un Dieu qui est Parole, cela ne suffit pas…
Un Dieu qui veut me parler
Tout comme la parole créatrice de Dieu, au commencement, n’était pas destinée à se perdre dans le cosmos naissant, sa Parole a une visée, une intention particulière aujourd’hui : m’atteindre en plein cœur !
En cet instant, Dieu ne veut pas simplement parler, ou parler à l’humanité en général, il veut me parler, à moi ! Voilà bien un trésor inestimable de la foi chrétienne : le Dieu Créateur, le Dieu Sauveur désire me parler, il me considère comme une personne digne de recevoir sa Parole.
Et si nous savons l’importance de la parole adressée à l’autre pour construire sa vie, et je pense évidemment en particulier à des parents vis-à-vis de leurs enfants dès leur naissance, voire même pendant la grossesse, à combien plus forte raison les paroles de notre Créateur sont-elles vitales pour nous ! L’apôtre Pierre l’avait bien saisi quand, devant Jésus, il s’exclama : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle[8]. »Et pourtant, nous savons si bien aller vers d’autres que lui…
Une Parole au milieu de plein de voix
La Parole de Dieu a beau venir du Créateur de tout, de Celui qui est « le chemin, la vérité et la vie[9] », force est de constater que cette Parole peut vite être étouffée au milieu de toutes les voix concurrentes qui s’élèvent face à elle.
Et cela a commencé très tôt, dans le jardin d’Éden. Avec la voix contradictoire du serpent surgit ce que j’appellerais la « concurrence originelle ».
Face au Dieu qui crée sur parole se dresse celui qui ment sur parole, qui met en doute, en accusation la parole du Créateur. Et hélas, nos ancêtres ne tardent pas longtemps à se laisser séduire et à préférer la voix à la Parole.
Depuis ce jour, ce drame continue de se jouer en chacun de nous. Tant de voix concurrentes à la Parole de Dieu viennent à nous de manière quasiment incessante. Et reconnaissons que, si la racine reste la même – la concurrence originelle –, notre époque hyper-médiatique offre une panoplie inédite de voix[10] et de canaux de communication.
C’est un combat qu’il nous faut parfois mener pour garder intact notre désir de connaître et vivre la Parole vivante et vitale de Dieu, alors que nous déambulons souvent dans le grand supermarché des voix de ce monde. Car l’enjeu n’est rien de moins que notre vie, et celle de nos prochains. Si cette Parole est vitale, il nous faut la vivre.
Une Parole à vivre
Pour vivre la Parole, encore faut-il la connaître, et cette connaissance ne peut s’acquérir sans une disposition à l’écoute et un engagement dans la lecture de la Parole récrite.
Écouter
À la question d’un scribe cherchant à savoir lequel des commandements de la loi mosaïque est le plus important, Jésus répond ainsi : « Le premier, c'est : Écoute, Israël ! Le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force[11]. »
« Écoute, Israël ! », voilà le premier de tous les commandements. L’écoute est au fondement de toute démarche spirituelle vis-à-vis de Dieu. Sans écoute, point de Parole qui puisse nous atteindre et impacter notre vie.
Et la personne qui écoute peut aussi éviter de tomber dans ces deux ornières que sont le dogmatisme et le scepticisme. Le dogmatique n’écoute pas, car il est certain d’avoir déjà toutes les réponses et il ne veut pas s’encombrer de celles des autres. Quant au sceptique, il n’écoute pas, car il pense qu’il n’y a pas de réponse. Pour lui, tout peut toujours être mis en doute[12].
Écouter, c’est prêter attention à la Parole de Dieu « aujourd’hui »! Or, ne sommes-nous pas parfois tellement habitués à telle ou telle parole de Dieu que nous sommes devenus sourds à ce que Dieu veut nous dire aujourd’hui par cette parole ?
Je crains que ce risque de surdité nous menace tous, à un moment ou un autre, aussi nous faut-il veiller et, face à la Parole de Dieu, nous efforcer de maintenir vive notre disposition à l’écoute, notre ouverture à l’inattendu, à la surprise, à l’étonnement, à la remise en question.
Suis-je encore capable et désireux de véritablement écouter Dieu aujourd’hui ?
Lire
Ce ne fut certes pas le cas pour tous dès les origines, comme tout au long de l’histoire de l’Église, et hélas encore actuellement pour nombre de personnes empêchées d’avoir librement accès à la Bible, mais celle-ci est aujourd’hui très largement répandue ; on dit même qu’elle est le livre le plus vendu au monde !
La Parole de Dieu se présente à nous sous la forme d’un livre. Et c’est donc à un acte de lecture qu’il nous faut procéder pour découvrir et développer notre connaissance du plan de Dieu et de sa volonté.
Or, reconnaissons que nous ne sommes pas tous égaux quant à la lecture. Certains aiment lire et ont des facilités à lire, alors que d’autres sont plus en peine et la lecture peut devenir un véritable défi. D’autant que la Bible n’est pas un livre facile à lire en chacune de ses pages !
C’est pourquoi la Ligue pour la lecture de la Bible s’efforce de proposer des guides de lecture biblique quotidienne adaptés au plus grand nombre, que ce soit en termes de tranches d’âges comme de longueur de textes bibliques et de commentaires à lire chaque jour.
Comme en d’autres domaines, la qualité devrait sans doute toujours prévaloir sur la quantité.
L’acte de lire la Bible est, à certains égards, comparable à celui de lire n’importe quel autre livre, mais c’est peu de dire qu’il ne s’agit vraiment pas d’un livre comme les autres ! Car la lecture n’est ici pas du tout unilatérale…
Se laisser lire
La Bible étant Parole de Dieu, elle est un livre habité de « quelque chose »… ou plutôt de « quelqu’un » que l’on ne rencontre dans nul autre livre.
« Toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l'homme de Dieu soit formé et équipé pour toute œuvre bonne[13]. » Il ne s’agit pas ici de l’inspiration d’un poète qui, devant un magnifique paysage, compose un beau texte, mais du rôle du Saint-Esprit qui a communiqué, « soufflé » la parole de Dieu par le moyen des auteurs humains. L’Écriture vient d’en haut !
Et elle agit en bas, en nous, de manière puissante et saisissante : « En effet, la parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante que toute épée à deux tranchants, pénétrante jusqu’à séparer âme et esprit, jointures et moelles ; elle juge les sentiments et les pensées du cœur[14]. »
Ce faisant, la personne qui lit la Bible n’est pas seulement un sujet face à un objet – la Bible –, la personne fait face à un autre Sujet : Dieu Lui-même. C’est pourquoi le fait de lire la Bible nous conduit bien davantage à nous laisser lire par la Bible.
Quand nous lisons sa Parole, c’est avant tout Dieu qui nous lit. Et il le fait en profondeur, et bien au-delà de ce que nous pouvons percevoir. Et s’il le fait, c’est pour nous offrir la grâce de pouvoir vivre sa Parole de Vie !
Vivre la Parole !
C’est pour la vie que Dieu a créé les êtres humains ; c’est pour la vie qu’Il a libéré le peuple d’Israël de l’esclavage en Égypte ; c’est pour la vie qu’Il lui a donné la Loi, révélé sa volonté au Sinaï ; c’est pour la vie qu’il n’a eu cesse de rappeler son peuple à revenir à lui à travers les prophètes de l’ancienne alliance ; c’est pour la vie que Dieu a envoyé son Fils sur terre pour qu’Il devienne l’un des nôtres et nous conduise à la grande libération et réconciliation ouvertes par la mort et la résurrection de Jésus-Christ ; c’est pour la vie que Dieu a envoyé aux croyants son Esprit.
La foi chrétienne n’est pas une belle sagesse de vie, c’est une « Vie vivante[15] », une vie fécondée et transformée par la Parole de Dieu. Le chemin « naturel » du chrétien est de vivre le plus concrètement possible sa vie à la suite de Jésus-Christ. Et « naturel » ne signifie pas du tout « simple » ou « facile », loin de là ! Mais c’est un chemin qui correspond à notre nouvelle nature, celle qui nous est accordée par pure grâce, au moyen de la foi en la vie et l’œuvre de Jésus-Christ.
Je peux bien croire en Dieu ; si je ne m’efforce pas de vivre concrètement ce que je comprends et crois de la Parole de Dieu, je risque bien de me bercer d’illusions !
Lire la Parole de Dieu n’est pas une finalité, c’est un point de départ. Une étape indispensable pour rencontrer Dieu, rechercher sa volonté, et ensuite se mettre en route pour vivre le plus concrètement possible cette Parole qu’Il nous a adressée.
S’exposer à la Parole de Dieu, c’est y exposer sa vie tout entière, et notamment les valeurs qui sont les nôtres. Celles qui nous habitent presque intrinsèquement, qui font partie de nous depuis notre naissance, comme celles qui nous ont été transmises par nos parents ou d’autres figures d’autorité parentale, par notre famille élargie, notre Église, nos amis, la culture ambiante, etc. Quelle consistance ont pris dans ma vie quotidienne les valeurs du Royaume de Dieu ?
C’est notamment pour essayer de répondre à cette question, que nous avons créé, à l’occasion des 100 ans de la Ligue en Suisse romande, le défi « Parlons valeurs ![16] » Il s’agit d’un jeu de cartes destiné aux familles dans le but de susciter des discussions, réflexions et mises en route concrètes en famille autour d’une cinquantaine de valeurs essentielles de la vie. Car, très concrètement, c’est à travers les valeurs qu’elle met en avant, que la Parole de Dieu peut se vivre.
Bertrand Gounon,
responsable du ministère biblique
[1] Tel est le refrain qui rythme le chapitre 1er du livre de la Genèse.
[2] Ps 115.3-7 : « Notre Dieu est au ciel, il fait tout ce qu’il veut. Leurs idoles, ce n’est que de l’argent et de l’or ; elles sont faites par la main des hommes. Elles ont une bouche mais ne parlent pas, elles ont des yeux mais ne voient pas, elles ont des oreilles mais n’entendent pas, elles ont un nez mais ne sentent pas, elles ont des mains mais ne touchent pas, des pieds mais ne marchent pas ; leur gosier ne produit aucun son. » Voir aussi le Ps 135.15-18.
[3] Gn 2.16-17.
[4] Gn 3.9.
[5] Dt 6.24.
[6] Hé 1.1-2.
[7] Jn 1.1-3, 14 : « Au commencement, la Parole existait déjà. La Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. […] Et la Parole s'est faite homme, elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père. »
[8] Jn 6.68.
[9] Jn 14.6.
[10] Le pluralisme triomphant laisse cours à toutes sortes de voix, d’opinions, d’idéologies… sans qu’il soit vraiment possible d’en questionner librement le bien-fondé. .
[11] Mc 12.29-30. Nouvelle Bible Segond.
[12] NOUIS Antoine, Les quatre évangiles – La Bible, commentaire intégral verset par verset, Lyon/Paris, Olivétan/Salvator, 2021, p.327.
[13] 2Tm 3.16-17.
[14] Hé 4.12.
[15] Pour reprendre le titre d’un livre de Jean-Claude Guillebaud.
[16] Pour une présentation plus détaillée de ce défi, voir la page nationale suisse (p.6) de LeGuide #4 – 2024ou le site Internet dédié aux 100 ans de la Ligue en Suisse romande : www.ligue-100ans.ch. Commande possible sur le site : www.ligue.ch/editions