Pendant longtemps, les enfants ont été considérés comme ignorants et insensés, à la merci de leurs pulsions. Une telle image ne permettait pas de voir l’enfant comme un être ayant une spiritualité.
Grâce au développement des sciences humaines au XXème siècle, les regards sur l’enfant commencent à changer. Dans le domaine de l’éducation, Jean Piaget a apporté une nouvelle conception de l’enfant issue de la psychologie du développement, en établissant comme thèse de base l’idée que les enfants s’approprient le monde à leur manière, qu’ils se construisent un univers pour eux-mêmes. Si donc les enfants construisent leur propre représentation du monde, cela ne vaut-il pas également pour la réalité religieuse ?
C’est à la fin du siècle dernier que la spiritualité des enfants est devenue un objet d’étude. Elle a été mise en évidence comme étant une caractéristique constituante de la vie enfantine, un processus qui se développe parallèlement à sa personnalité. Tout homme dès sa plus petite enfance a donc en lui une dimension spirituelle, cela se vérifie aussi bien dans la Bible, que dans la réflexion théologique et la recherche des sciences humaines. Cette ouverture à la transcendance le place face à un mystère, et avec le besoin de donner un sens à sa vie, il va chercher à le comprendre. Un enfant, inséré dans une famille, une culture, une société, va entrer également dans une religion. Reconnaître la spiritualité de l’enfant est une première étape. Le faire grandir dans une religion, c’est le mettre en contact avec la Parole de Dieu, avec le langage de la religion et la culture dans laquelle il grandit, et lui laisser l’espace pour qu’il construise sa pensée et mette des mots sur sa foi.
La découverte de la spiritualité de l’enfant marque également une rupture avec les séquelles d’idées installées en Occident pendant des siècles. Sa reconnaissance ouvre la voie à la prise en compte des pensées et des paroles des enfants sur Dieu. Par «théologien», nous entendons ici la capacité de dire une parole sur Dieu. Parler de «l’enfant théologien1» c’est croire que, par sa compréhension du mystère, il nous ouvre à une dimension que notre raison d’adulte a parfois oubliée et qu’elle peut réactiver. C’est lui reconnaître la capacité d’une réflexion sur Dieu, en tant que personne qui pense et se trouve devant des questions. En tenant compte de cela, cette notion se décline en trois démarches : une théologie par les enfants, avec eux et pour eux. Elles sont tour à tour nécessaires.
«La théologie par les enfants» : écouter et considérer avec sérieux les interprétations des enfants.
«La théologie avec les enfants» : prendre les réponses et les interprétations des enfants comme point de départ pour un échange théologique entre adultes et enfants. A travers l’entretien, tous découvrent des pistes de réflexion supplémentaires qui leur permettent d’avancer dans leur propre compréhension.
«La théologie pour les enfants» : apporter des éléments de la Tradition et de la Bible, qui permettent de façon constructive aux enfants d’avancer dans leur réflexion. Ils approfondissent ainsi de façon ciblée leur propre questionnement.
Longtemps la théologie a été considérée comme une science. Elle est enseignée à l’université pour former des ministres et des experts en matière de foi, des spécialistes de la Bible. Aujourd’hui, si la compréhension de la théologie est élargie, chacun, chacune, les enfants inclus, peuvent être théologiens. On peut différencier la théologie des professionnels dans le degré de connaissance et de complexité de la réflexion mais reconnaître tout aussi valables des commentaires et des interprétations bibliques de personnes n’ayant pas fait d’études.
L’enfant se situe dans une théologie intuitive, mystique et symbolique. Sa parole se fonde immédiatement sur l’expérience, avec peu de base rationnelle, mais beaucoup d’imagination. L’enfant s’interroge naturellement pour arriver à comprendre ce qui lui arrive. Souvent, il nous ramène aux questions fondamentales de l’existence. L’enfant peut lui aussi accueillir la Révélation, se faire une représentation de Dieu, qui lui est propre, selon le stade du développement religieux dans lequel il se trouve. Il contemple cette réalité et s’en émerveille. Il l’exprime par des mots si on le questionne, ou parfois aussi spontanément. Mais sa compréhension est de l’ordre de l’intuition, pas d’un raisonnement. Il n’empêche que l’adulte peut donner à sa parole une valeur théologique.
La foi est l’attitude intérieure de celui qui croit. La foi, la confiance et l’obéissance sont liés. Il s’agit de consentir à ce que l’on ne sait pas. Qu’en est-il de l’enfant ? Dès sa naissance, il s’abandonne dans les mains de sa mère, de son père et de ses proches. Il porte en lui une capacité de confiance totale et elle inclut la confiance en Dieu. Il ne pourra la fortifier et l’expérimenter que dans un climat de sécurité et de protection. Le rôle de l’adulte ou de l’éducateur chrétien ne sera certainement pas d’apporter ou d’enseigner la foi, car la foi est un don. Avec la croissance de l’enfant, le sentiment de confiance va être blessé, trahi parfois dans ses relations humaines et sa relation à Dieu sera aussi altérée. Le pédagogue religieux pourra l’accompagner dans ses représentations, et l’aider à les ajuster en s’appuyant sur la Parole de Dieu et les enseignements de la Tradition. Il fera de la théologie avec et pour l’enfant, il le conduira à préciser et à clarifier sa pensée, son intuition et sa foi. Un jour, l’enfant aura à se positionner dans sa foi et choisir librement s’il désire continuer de croire en Dieu, en Celui qui lui aura été présenté dans son éducation. Le bagage religieux qu’il aura reçu lui permet de passer de la confiance innée à une adhésion personnelle qui l’engage dans une relation avec le Christ.
La place de l’enfant dans l’éducation chrétienne
La réflexion théologique et les éclairages résultant de la recherche sur sa spiritualité ont entraîné une manière nouvelle de concevoir l’éducation religieuse. Dans une catéchèse de transmission, une réponse enfantine étonnante risque de ne pas être entendue puisque ce type de leçon se trouve dans un contexte d’enseignant à enseigné. Comme l’enfant «ne sait pas», qu’il doit tout «apprendre», la catéchiste attend de lui des réponses qu’elle considère justes ou fausses. Encore aujourd’hui on a tendance à imposer de l’extérieur un ensemble de concepts religieux à connaître. Des nouvelles propositions catéchétiques sont apparues, mettant plus l’accent sur des expériences de foi à vivre plutôt qu’à apprendre.
Pionnière dans ce domaine, Maria Montessori a donné à l’éducation des fondements qui correspondent aux aspirations psychiques de l’enfant. Pour elle, l’enfant porte en lui dès sa naissance tout son potentiel humain. L’éducation cherchera à favoriser son épanouissement en lui offrant un milieu de vie qui lui permette de découvrir lui-même ce dont il a besoin pour croître. L’adulte va ainsi à la découverte de l’enfant, s’adapte à lui au lieu d’imposer.
En effet, les enfants pensent autrement que les adultes, interprètent autrement les événements, voient le monde autrement, jugent autrement de l’origine et de la fin de la vie humaine. Par conséquent, il y a aussi des différences radicales entre l’adulte et l’enfant quand il s’agit de considérer la vie humaine sous les points de vue religieux. Le développement religieux s’effectuant par étapes, celles-ci sont un instrument pour comprendre l’argumentation des enfants. Des possibilités s’offrent à une éducation qui s’efforcerait d’introduire à une étape supérieure du jugement religieux.
La notion de «l’enfant théologien» comprend la théologie en tant que «discours sur Dieu» dans les conditions de la réalité humaine. Dans ce sens, on observe et on accueille la façon dont les enfants voient et pensent les réalités chrétiennes. L’éducation religieuse reste nécessaire, mais pour que l’imagination théologique des petits puisse se mettre en route, elle doit être alimentée par des récits, des images, des concepts. Les enfants percevant le monde avec leur imaginaire, l’adulte risque de l’étouffer par la raison. Il s’agit d’enseigner le langage religieux, sans rejeter ou juger ce qui vient de la fantaisie des enfants. Après trois siècles de valorisation du rationnel, il est difficile de sortir de la concurrence adulte-enfant, raison-imaginaire pour découvrir la richesse de leur complémentarité.
Or, parler de «l’enfant-théologien» c’est reconnaître aux enfants la compétence d’interpréter les textes bibliques à leur manière. Il s’agit donc de s’efforcer de comprendre ce que l’enfant veut dire et quel rôle joue sa pensée «théologique» dans sa réalité.
Tout en donnant accès à la tradition judéo-chrétienne, la catéchèse part d’une conception large et pluridimensionnelle de la réflexion, qui ne se limite pas à la transmission de réponses de la Tradition, mais qui laisse une large place à l’appropriation. L’enfant s’approprie l’expérience religieuse dans la réalité qu’il est en train de vivre. Pour les plus grands enfants en particulier, la transmission et les explications seules ne garantissent pas le développement religieux. Celui-ci se met en route quand l’enfant est confronté à des conflits théologiques, mettant en cause des idées antérieures et poussant à établir un nouvel équilibre par l’acquisition de nouveaux contenus et/ou de nouvelles structures de pensée ou de foi. Il est important de présenter des positions différentes comme étant des offres de sens, des alternatives, et non pas des vérités immuables. Mais il est aussi important d’affirmer sa foi. Face aux doutes de l’enfant, une maman ou une personne proche peut témoigner de ce qu’elle croit. Leur parole aussi participe à donner un sens à l’existence de Dieu.
Il s’agit donc de proposer des méthodes qui donnent aux enfants la possibilité de partager leurs visions du monde, de la vie et de Dieu. Elles doivent éveiller l’intérêt pour une question ou une thématique, susciter une attitude de questionnement et, en même temps, proposer des contenus. Chaque enfant se construit une représentation de Dieu qui lui est propre, mais d’après des analyses, elle présente cependant des points communs avec celle des autres enfants. Dans la mesure où les images de Dieu de tout un chacun sont destinées à évoluer, il est essentiel que l’enfant soit capable d’interroger ses propres opinions «théologiques» avec sérénité sans craindre d’être moqué ou grondé. Elles constituent en effet la partie visible des couches profondes, très sensibles du psychisme, elles doivent donc être abordées avec prudence et respect. Les enfants ont le droit de maintenir leur représentation de Dieu, aussi longtemps qu’ils en ont besoin. Mais il convient de la corriger lorsqu’ils en souffrent, quand elle leur fait peur, ou si elle les bloque dans leur évolution personnelle. Par exemple, quand une représentation de Dieu s’accompagne de sentiment de culpabilité et de péché ou si elle implique des comportements contraignants, contraire à la liberté face à un Dieu exigeant, il faut intervenir. A ce moment-là, le pédagogue religieux propose une autre représentation de Dieu.
A notre connaissance, les pratiques catéchétiques actuelles qui vont dans ce sens sont : la «catéchèse du Bon Berger» de Sofia Cavalletti, présente surtout en Italie et en Amérique du Sud ; les «débats théologiques» pratiqués à Montpellier, ou en d’autres endroits présentés dans un DVD «Dieu, la parole aux enfants» ; et le Godly Play pratiqué dans le monde anglophone aux États-Unis, Canada, et en Europe en Angleterre, mais aussi en Finlande, en Allemagne et en Espagne. Elles insistent sur l’importance de connaître le développement psychologique et religieux de l’enfant, qui paraît indispensable à l’effort de compréhension à faire face à ses constructions théologiques. Elles proposent un véritable déplacement des protagonistes de l’éducation religieuse. La place de l’enfant devient centrale, là où Jésus lui-même l’a placé, à ses côtés ; et la posture du pédagogue se retrouve autant catéchisante que catéchisée.
La posture de l’adulte en catéchèse
«L’enfant théologien» implique une certaine posture de la part des adultes qui se trouvent avec des enfants dans cette pédagogie catéchétique. Celle-ci considère que l’enfant a aussi une expérience de la vie, et qu’avec son langage rudimentaire, il a des choses à dire sur ce qu’il vit. La responsabilité de l’adulte est d’aider l’enfant à accéder à un langage, celui de la foi, qui a un contenu et nécessite de se penser, de se dire et d’agir. Il lui faut donc un langage. L’adulte se place en quelque sorte comme le vigie intellectuel qui interroge l’enfant, pour qu’il argumente, et clarifie ce qu’il veut dire. Auparavant, la transmission de la foi imposait une certaine façon de croire. Ici, il s’agit d’accompagner l’enfant dans son propre cheminement. Le pédagogue peut témoigner de ce qu’il pense, de ce qu’il croit, mais sans dire «C’est ça». Cela suppose de sortir de la position de toute-puissance face à l’enfant. Non pas s’effacer, mais dire comment on voit les choses, sans les imposer. Car la parole de l’adulte s’impose facilement à l’enfant et peut l’empêcher de faire lui-même sa réflexion.
Cette attitude permet de développer chez l’enfant sa propre manière de comprendre, au lieu de vouloir la corriger. L’adulte l’accompagne dans ses questions, ses réponses, ses éventuelles évolutions. Il a à discerner ses interventions pour l’aider à exprimer clairement sa pensée. Personne ne cherche à avoir raison à tout prix, mais dans une recherche commune et dans un échange serein, chacun apporte ses éléments, considérés de valeur égale. L’adulte n’a pas à avoir peur des questions des enfants, ni de ne pas savoir y répondre. Mais il peut dire que c’est intéressant, et proposer de réfléchir ensemble. «Qu’est-ce que tu en penses ? qu’est-ce que j’en pense ?» Parfois l’adulte est gêné car il est sûr qu’il est obligé d’avoir des réponses. Pourtant il est essentiel de montrer à l’enfant qu’on peut vivre avec une question ouverte, sans avoir toujours une réponse claire et nette. Les doutes sont permis, et font partie de notre croissance. La vie est une alternance de doutes et de convictions. Comprendre cela rassure et grâce aux échanges, l’enfant réalise que d’autres vivent la même chose. Le questionnement, l’attitude de recherche, permettent de passer des moments de crise, notamment pendant l’adolescence, en maintenant la foi sans la rejeter. Se poser des questions donne un sens à la vie. Il est important à tout âge de maintenir ses interrogations et de valoriser la curiosité.
La responsabilité du pédagogue religieux est grande pour faire percevoir à l’enfant quelle relation nous pouvons avoir avec Dieu. S’il est suffisamment attentif, patient et à l’écoute de l’enfant, celui-ci comprendra mieux où est Dieu et comment Il est avec nous.
Caroline Baertschi, collaboratrice du Service Catholique de Catéchèse à Genève
1 Nous renonçons à juxtaposer la masculinisation ou la féminisation des termes. Selon le contexte, nous emploierons l’un ou l’autre, étant bien entendu qu’il peut s’agir à chaque fois d’un garçon ou d’une fille.
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