Soyez comme des enfants !

« Soyez comme des enfants » est une parole plus étonnante qu'on l'imagine. Elle mérite de s'y arrêter. Surtout quand nous travaillons dans une oeuvre qui a, comme premier public, les enfants. L'Eglise a décrit et proclamé beaucoup de chemin de conversion, mais rarement celui de se convertir et de devenir comme un enfant. Peut-être parce que ce n'est pas facile de se souvenir l'état d'esprit d'enfant, ou alors l'infantilisation devient la réponse à cette parole du Christ, ou alors encore l'adultification de l'enfant permet de répondre facilement et simplement à cet appel. Pour éviter la simplification, il est essentiel de se plonger dans cette parole et de chercher à y découvrir quelques fondements, puisque c'est le chemin pour entrer dans le Royaume de Dieu.

Le privilège de travailler régulièrement avec des enfants est d'avoir sous les yeux des exemples. En les regardant, en les observant, il est possible de découvrir ce chemin que Jésus nous invite à prendre. C'est tout de même particulier, dans notre société, de réaliser que dans le domaine du chemin chrétien, c'est l'enfant qui peut aussi enseigner l'adulte. Mystère du Royaume de Dieu qui se plaît une fois encore à inverser les valeurs dont nous sommes imprégnés. Il ne s'agit pas de faire des enfants des disciples à la mode adulte, mais bel est bien de découvrir la richesse du monde de l'enfant pour nous permettre d'entrer dans le Royaume.

MAIS CONCRÈTEMENT, CELA VEUT DIRE QUOI ?

Une recherche, réalisée par Rebecca Nye et David Hay, auprès d’enfants britanniques de 6 à 10 ans, a mis en évidence leurs aptitudes spirituelles. Rebecca Nye nous décrit ainsi la spiritualité des enfants .

«La spiritualité des enfants est une capacité initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacré dans les expériences de vie. Cette conscience peut être ressentie ou pas, mais dans les deux cas, elle influe sur les actions, les sentiments et les pensées. Dans l’enfance, la spiritualité porte particulièrement sur le fait d’être en relation, de répondre à un appel, de se relier à plus que moi seul, c’est à dire aux autres, à Dieu, à la création ou à un profond sens de l’être intérieur. Cette rencontre avec la transcendance peut advenir dans des expériences ou des moments spécifiques aussi bien qu’à travers une activité imaginative ou réflexive».

Il est possible de découvrir plus spécifiquement ce que Rébecca Nye décrit dans trois modes d'être : être sensible, être relationnel, être existentiel.

ÊTRE SENSIBLE

Durant la période de Noël, Maxime s’émerveillait et s’extasiait chaque soir, alors que ses parents allumaient le sapin couvert de bougies électriques. Les yeux ronds, le doigt pointé vers l’arbre, il arrêtait toutes ses activités, courait vers l’arbre et s’écriait : « Oh ! Maman ! Maman ! » ou bien « Oh ! Papa ! ». Maxime est tout habité par son émerveillement, par ce qu’il perçoit et exprime la joie que suscite en lui la lumière du sapin.

 
La réaction de Maxime, l’expression sensible de son être-au-monde à l’occasion toute quotidienne d’un sapin allumé, révèle la vitalité du spirituel en lui. Sous le mode sensible, il se laisse émerveiller, interpeller par la beauté de la lumière du sapin. Il cesse toute activité. Il court vers le sapin. Il cherche à partager sa joie avec les personnes les plus signifiantes de son existence. Non pas une seule fois, mais tous les jours où le sapin est allumé dans le salon. Il y a une capacité d'émerveillement perpétuelle, communicative et qui arrête l'activité courante.

Ce que les tout-petits expérimentent passe par leur corps, tant dans leur perception que par leur expression. Selon les formes d’expression vocales ou verbales, gestuelles, du regard ou du faciès, peut se déceler ce qui habite l’enfant, ce qui le meut profondément. Il y a une forme de cohérence entre ce qu'il ressent et ce qui se perçoit.

La spiritualité chrétienne passe par les sens en ce qu’elle sollicite notre personne dans toute son intégrité, corps et esprit.

ÊTRE RELATIONNEL

De longue date, le mode relationnel, la dimension relationnelle de l’existence humaine est reconnue comme élément-clé de la vie spirituelle. La relation à soi, la relation aux autres et la relation à Dieu constituent les trois pôles d’une conception contemporaine de la vie spirituelle. Au-delà du travail de socialisation spécifique à cette étape de leur développement, les tout-petits vivent depuis longtemps des relations. Ainsi face aux adultes et face à leurs pairs, les enfants d’âge préscolaire expriment leur affection et leur inimitié : un câlin, une proximité, un cadeau ou encore le refus de s’asseoir à côté d’un autre enfant, la fuite d’un adulte.

Avec les adultes comme avec leurs pairs, les enfants expriment leur besoin de reconnaissance, d’être reconnus : demandes fréquentes d’attention des adultes, importance entre eux du prénom, apprentissage du respect de l’activité d’un autre enfant.

Des enfants ont exprimé de façon explicite leur besoin de l’autorité des adultes, en particulier lors de situations de tension. Au niveau relationnel, la confiance que l’adulte bienveillant veille à « l’ordre » du monde qui environne l’enfant, lui permet de se construire.

Ainsi Romain s’efforce avec peine d’écrire son nom. Après de longues minutes de travail, il redresse soudainement la tête tout rayonnant : « C’est maman qui va être contente ! » Faire plaisir à sa mère donne sens à son effort fastidieux.

Au niveau spirituel, les enfantslaissent entrevoir le dynamisme relationnel enraciné dans des relations de filiation et de fraternité. Leur relation aux parents est également intéressante en termed'appel à l'autorité ou de motivation à agir.

La spiritualité chrétienne se décrit constamment comme fils et frère, comme fille et sœur en relation dynamique avec son entourage. Elle appelle à vivre en enfants de Dieu dans une famille élargie.

ÊTRE EXISTENTIEL

Enfin l’expression du mode existentiel de la vie spirituelle des enfants consiste en cet engagement de l’enfant dans le déploiement du quotidien, particulièrement dans le temps. Par exemple, l’enfant d’âge préscolaire vit intensément le temps présent, il ne connaît à vrai dire pas d’autre temps. Son présent anticipe son devenir : il a hâte d’aller au parc, se réjouit ou devient triste à la perspective d’un événement annoncé. L’événement à venir l’affecte dans son présent.

La spiritualité chrétienne investit le temps selon une notion de déjà pas encore. En quoi notre action, notre engagement présent dans le monde est-il influencé et motivé par le futur à venir? En quoi notre présent anticipe notre devenir ?

Beaucoup d’expériences quotidiennes dans la vie de l’enfant se prêtent à un vécu spirituel. Aussi comprendre l’enfance est fondamental pour une compréhension plus générale de la spiritualité. Comprendre l’enfance, c’est percevoir aussi les réalités suivantes :

Les enfants ont une façon plus holistique de voir les choses. Ils ne les analysent pas autant, si bien que leur perception a un caractère plus mystique.

Les enfants sont particulièrement ouverts et curieux. Aussi ont-ils une capacité naturelle d’émerveillement.

La vie émotionnelle des enfants est au moins aussi forte que leur vie intellectuelle. Aussi savent-ils ce que c’est de s’abandonner à des forces qui transcendent leur contrôle.

Les enfants manquent de connaissances sur beaucoup de choses. Pour eux, le mystère est une réalité profonde, généralement non menaçante, amicale et ils y répondent par un respect et une recherche de sens dans tous leurs jeux quotidiens.

Les enfants acceptent que leurs mots ne suffisent pas à décrire pensées et sentiments. Aussi savent-ils que la valeur et l’importance réelle dépassent ce qui peut être dit. Ils se sentent à l’aise dans l’ineffable, l’indicible »

Michel Siegrist
Directeur de la Ligue
 

Article basé sur une étude de Élaine Champagne.